jeudi 12 septembre 2019

Murène

Murène,

Valentine Goby,
Actes Sud, 2019


Mot de l'éditeur :

Hiver 1956. Dans les Ardennes, François, un jeune homme de vingt-deux ans, s'enfonce dans la neige, marche vers les bois à la recherche d'un village. Croisant une voie ferrée qui semble désaffectée, il grimpe sur un wagon oublié... Quelques heures plus tard une enfant découvre François à demi mort ― corps en étoile dans la poudreuse, en partie calciné. Quel sera le destin de ce blessé dont les médecins pensent qu'il ne survivra pas ? A quelle épreuve son corps sera-t-il soumis ? Qu'adviendra-t-il de ses souvenirs, de son chemin de vie alors que ses moindres gestes sont à réinventer, qu'il faut passer du refus de soi au désir de poursuivre ? Murène s'inscrit dans cette part d'humanité où naît la résilience, ce champ des possibilités humaines qui devient, malgré les contraintes de l'époque ― les limites de la chirurgie, le peu de ressources dans l'appareillage des grands blessés ―, une promesse d'échappées. Car bien au-delà d'une histoire de malchance, ce roman est celui d'une métamorphose qui nous entraîne, solaire, vers l'émergence du handisport et jusqu'aux Jeux paralympiques de Tokyo en 1964.


Lu dans le cadre de mon aventure de Jurée pour le Prix Landerneau 2019

Cette année encore, je fais partie du Jury pour décerner le Prix Landerneau. Sont en lice cette année : Valentine Goby, Kaouther Adimi, Louis-Philippe Dalembert et Sylvain Prudhomme.
Je ne vous le cache pas, en tant que Landernéenne, je suis on ne peut plus fière !

Ma lecture :

J'ai voulu commencer par une une valeur sûre, Valentine Goby, auteur de pas moins de deux coups de cœur, Kinderzimmer et L'échappée, romans autour de la Seconde Guerre Mondiale. Ici en revanche, on change complètement de sujet pour aborder le handicap et le handisport...

Au milieu des années 50, François Sandre a 22 ans, quand sa vie bascule. Un soir d'hiver neigeux, il est victime d'un accident de caténaire : il est brûlé au troisième degré. Ses bras l'en tombent. Littéralement. Pour le sauver, on doit lui amputer les deux bras au niveau des épaules. Suivent alors des mois de rééducation, apprendre à faire sans, composer avec ce manque. Imaginez-vous une seconde sans bras : pour lire ceci, vous avez votre téléphone ou votre tablette dans les mains. Vous avez allumé votre ordinateur du bout des doigts. Compliqué, non ? Valentine Goby suit son personnage dans son quotidien. C'est précis et toujours loin du pathos. Car, finalement, ce n'est pas un roman triste. De ce drame qui a bouleversé sa vie, François va en tirer une force...

Mu par sa famille, littéralement aussi, d'ailleurs, il va trouver des astuces pour gagner en autonomie. Nous sommes dans les années 50 et il n'est pas encore question de prothèses mais d'appareillage. Le terme est aussi que lourd que l'objet. Amputé au niveau des épaules, il est difficilement appareillable, même si la Première Guerre Mondiale a lancé les premiers progrès dans ce domaine. On lui propose une espèce de paire d'ailes mécaniques, fixée au niveau des épaules. Cela lui fait, en apparence, deux bras. Un est articulé et pourrait lui permettre de porter des objets, comme une fourchette ou un sac léger. L'autre n'est là qu'en apparat. Toutefois, l'appareillage est lourd, inconfortable et peu pertinent. François ne le porte pas et joue d'astuce pour améliorer son quotidien.

Pour sortir de son isolement social, il s'inscrit dans une amicale d'amputés. On lui propose des cours de natation. Nager ? Sans bras ? Mais cela est impossible ! Nous sommes toujours dans les années 50, le handisport n'existe pas. Mais les motivations sont déjà là. François apprend à nager, prend plaisir, revit socialement grâce au sport et à l'amicale. Vraiment, tel un phénix, le voilà qui renaît de ses cendres. Il va à la rencontre d'autres handicapés, les initie au sport. Bilingue par sa mère anglaise, il devient même professeur d'anglais. Il sort son ami João, amputé lui aussi suite à un accident, de l'alcoolisme, du repli en lui faisant découvrir les prémices du handisport puis du sport paralympique. Ce même ami rapportera même une médaille d'or des Jeux Olympiques.

Murène. François nage dans l'eau tel une murène, sans bras. Et c'est cette eau, ce dépassement de soi que le sport impose qui le sauvera du repli et de l'oubli. Cette silhouette, Valentine Goby en a trouvé l'inspiration en le champion de natation aux JO Paralympiques de Rio en 2016, Zheng Tao.

C'est certain, ce roman ne raconte pas l'histoire d'un drame et d'une victime. Il raconte l'histoire d'une profonde résilience et d'un gagnant. Gagnant sur la vie. Et l'écriture de Valentine Goby, toujours contenue, réservée apporte au roman une sincérité et une pudeur nécessaires. Le lecteur ne s’apitoie pas sur le sort de François, car François ne le fait pas, ou ne le fait plus, car il est dans le camp des combattants et des gagnants.

Merci Valentine Goby pour ces romans toujours justes et beaux.
Ce sera mon premier coup de cœur de la sélection. Inutile de dire qu'il sera difficile de passer derrière...




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