Trois mois et un jour,
Karine Reysset,
Ed. Flammarion, 2022
Mot de l'éditeur :
"J'avais sept ans quand j'ai perdu un petit frère de la mort subite du
nourrisson. Loïc avait trois mois et un jour. Sa présence, si éphémère
fût-elle, a imprégné toute ma vie. Il y a quatre ans, notre mère m'a
annoncé qu'elle songeait à le déménager du cimetière où il était
enterré. Je me suis alors replongée dans ma mémoire trouée, au coeur
d'une enfance heureuse, d'une famille heureuse, sans lui et avec lui,
car il n'était jamais loin.
Avant qu'il ne soit trop tard, j'ai
traqué ses traces dans les petits papiers et les archives - il y a les
reliques et les photos, les lettres, les signes et les légendes. Sans
oublier les oiseaux".
Karine Reysset délaisse la fiction pour ce
récit intime, qu'elle porte en elle depuis longtemps. En écho à d'autres
livres sur le deuil, elle explore dans Trois mois et un jour la douleur
de la perte et met en scène la réparation des vivants.
Dealer : SP de Karine Reysset ❤
Ma lecture :
Karine Reysset fait partie des auteurs que j'affectionne plus particulièrement. J'ai lu tous ses romans destinés aux adultes et quelques uns destinés à la jeunesse. Je vais même vous confier quelque chose : j'ai quelques manies pour vérifier la pertinence d'une bibliothèque, dont m'assurer qu'un roman de Karine Reysset (ils ne sont que quatre autres auteurs sur ma liste) y figure. Bref.
Trois mois et un jour est le récit, la quête, l'enquête du drame qu'a vécu sa famille en 1981. Elle avait sept ans, était la grande sœur de Loïc, qui, à trois mois et un jour, ne s'est pas réveillé de sa sieste. J'ai écrit "était la grande sœur", mais tout au long du livre, elle ne cesse d'insister sur le temps du présent. Encore aujourd'hui, quarante ans après sa mort, elle est toujours la grande sœur de Loïc. Et elle parle de lui pour qu'il ne sombre pas dans l'oubli. Le petit Loïc, qui restera pour toujours le petit Loïc, est décédé de ce qu'on appelle la mort subite du nourrisson. C'était un samedi ou un dimanche après-midi, tout allait bien, jusqu'à ce que sa mère aille chercher son bébé dans son lit. Déjà froid.
L'auteur a vécu ce drame en tant que grande sœur et elle s'est interrogée sur la légitimité d'écrire sur cette histoire. Elle n'était qu'une enfant. Maman à son tour, elle n'imagine même pas la douleur de sa mère. Ce deuil fait partie des fondements de sa famille et de sa personnalité : beaucoup de choses se sont construites autour. J'allais écrire "tout s'est construit" mais non, les Reysset ont réussi à continuer à vivre malgré tout, et avec Loïc. Il fait partie intégrante de la famille, comme une lumière, une veilleuse. Son absence n'est pas omniprésente mais lumineuse. Sa mort n'efface pas la vie de sa famille mais la rend, au contraire, presque plus belle.
Quand on a lu l’œuvre de Karine Reysset, on comprend vite que la maternité, l'absence et le deuil font partie de ses thèmes de prédilection. D’obsession. Elle donne alors les clés de ses autres romans, les redondances et résonances des prénoms, dont celui, bien évidemment, de Loïc. On rentre dans son intimité d'écrivain, de sœur, de compagne, de mère ; elle se livre avec authenticité, sans pathos ni violons. On y entre comme Loïc a quitté la vie, sans bruit. Ce livre saura aussi être une bonne béquille pour tous ceux, sœur, compagne, mère, ont perdu un être cher, ont perdu un enfant. Trois mois et un jour se lit doucement, presque avec cérémonie. Je me dis souvent que j'aimerai prendre le temps de lire un livre dans une cathédrale, j'aurais très bien pu lire celui-ci. En communion.
Je pense pouvoir dire que Trois mois et un jour fait partie de mes préférés de Karine Reysset, avec Comme une mère ou L'inattendue. Plus qu'un coup de cœur, c'est un coup au cœur !