Désir noir,
Anne-Sophie Jahn,
Ed. Flammarion, 2023
Mot de l'éditeur :
"Un
après-midi d'automne, assise à la terrasse d'un café, je listais avec
mon éditeur des idées de chapitre pour Les Sept Péchés capitaux du rock,
titre de mon premier livre. “Bertrand Cantat.” Un coup de vent glacé
m'a fait frissonner. Ou était-ce ce nom, évocateur de mort et de
violence ? Dans mon souvenir, le chanteur de Noir Désir s'était disputé
avec sa petite amie, l'actrice Marie Trintignant, un été, en Lituanie.
Il lui avait donné une gifle, sa tête avait heurté un radiateur,
hémorragie cérébrale, elle n'avait pas survécu. C'était un accident,
mais il relevait bien de la colère, puisqu'il était l'issue tragique
d'une bagarre. En rentrant chez moi, j'ai commencé par rechercher des
articles de presse relatant l'affaire. Les titres ont défilé. Je
cliquais, lisais, ou plutôt dévorais les informations. Je m'étais
totalement trompée. La mort de Marie Trintignant n'était pas un
accident. Et si elle n'était pas la seule victime ?"
Vingt ans après la mort de Marie Trintignant, Anne-Sophie Jahn mène l'enquête sur une tragédie que l'on n'appelait pas encore féminicide.
Vingt ans après la mort de Marie Trintignant, Anne-Sophie Jahn mène l'enquête sur une tragédie que l'on n'appelait pas encore féminicide.
Ma lecture :
Je me souviendrai toujours de ce jour d'été où je recevais le SMS d'un ami me prévenant : "Va voir tes mails, bad news." Et dans ce mail, un lien vers un article de l'Obs. Marie Trintignant, actrice que j'aimais beaucoup, beaucoup, est en état de mort cérébrale. Vont suivre d'autres articles titrant une dispute qui a mal tourné, un accident entre deux amoureux, la querelle après une soirée arrosée vire au drame, ...
Un accident ?
Donne-t-on une série de gifles, de la paume puis du revers de la main, par accident ?
Je crois qu'à l'époque, où le terme féminicide était tu, tout le monde voulait croire à cette thèse de l'accident. Cela entachait moins l'image de Bertrand Cantat, lui aussi victime de cet accident, et on ne pensait pas aux souffrances psychologiques antérieures de Marie Trintignant, qui de toute façon, avait encore trop bu ce soir-là. Ce qu'il s'est passé cet été-là, dans la chaleur de Vilnius, n'était qu'un accident alcoolisé.
Sauf que non.
Lycéenne à l'époque, la journaliste Anne-Sophie Jahn, ne s'était jamais penchée sur cette histoire et était restée sur le thèse de la dispute qui a mal tourné.
Sauf que non.
La journaliste reprend tous les témoignages clés de cet été 2003, relit tous les articles publiés et des question ressortent. Etait-ce vraiment un accident ? Elle convoque de nouveau certains proches et se heurte, 20 ans plus tard, à de nombreuses portes fermées. Avec sa rigueur de reporter de presse, elle mène une véritable investigation et se rend compte, avec effroi, que l'enquête a, à plusieurs endroits, été mal menée. Quelque chose ressort : l'omerta autour de Bertrand Cantat qui a fait taire, et fait taire encore aujourd'hui, ceux qui savaient. Ceux qui ont été témoins de sa violence privé. Glaçante. Meurtrière. Le chanteur charismatique, solaire, porte-parole de toute une génération désenchantée, était, dans l'ombre, dans l'intime, beaucoup moins sympathique. Mais plutôt pervers narcissique, manipulateur, violent.
Alors non, bien sûr, cet été-là, ce soir-là, dans cette chaleur de Vilnius, ce n'est pas une dispute alcoolisée qui a mal tourné. C'est un manipulateur charismatique qui n'a pas su retenir le coup de trop.
Ce n'est pas le clan Trintignant contre le clan Cantat. C'est un homme contre une femme.
Ce n'est pas une passion. C'est une violence meurtrière.
Ce n'est pas le clan Trintignant contre le clan Cantat. C'est un homme contre une femme.
Ce n'est pas une passion. C'est une violence meurtrière.
J'ai trop longtemps et trop souvent entendu : c'est un accident qui a mal tourné, ils étaient défoncés.
Non. Il l'a défoncée. Elle.
Non. Il l'a défoncée. Elle.
Alors, merci, Anne-Sophie Jahn, d'en parler encore, 20 ans après, parce qu'il est nécessaire de mettre les points sur les i de Trintignant. Marie Trintignant est morte des violences commises par un homme. C'est un féminicide. Ce n'est pas la première. Ce ne sera malheureusement pas la dernière. Ni même dans le cheptel de Bertrand Cantat. Je pense à la mère de ses enfants, Krisztina Rady qui, cet été-là, dans la chaleur de Vilnius, démentait toute violence, et qui, quelques hivers plus tard, se suicidait, écrasée par cette violence qu'elle ne pouvait plus taire.
Ce n'était pas un accident.
Cela m'a été difficile de replonger dans cet été-là, mais l'enquête menée par Anne-Sophie Jahn, si elle soulève encore des questions et montre que certains réponses resteront tues, recadre les choses. Elle se base directement sur les faits et ne joue pas aux interprétations faciles. Ce que je retiens de ma lecture, ce qui m'indigne encore aujourd'hui, est cet omerta autour de Bertrand Cantat. Il a purgé sa peine, dérisoire, et reste désormais intouchable. Il peut continuer de briller sur les cendres de ses conquêtes maudites, en magnifique poète maudit...
Sauf que non. Il n'y a aucune poésie. Seulement des cendres.