mardi 17 septembre 2019

Mur Méditerranée

Mur Méditerranée Louis-Philippe Dalembert Prix Landerneau rentrée littéraire 2019 Wespieser Migrants roman

Mur Méditerranée,

Louis-Philippe Dalembert,
Ed. Sabine Wespieser, 2019


Mot de l'éditeur :

A Sabratha, sur la côte libyenne, les surveillants font irruption dans l'entrepôt où sont entassées les femmes. Parmi celles qu'ils rudoient pour les obliger à sortir, Chochana, une Nigériane, et Semhar, une Erythréenne. Les deux amies se sont rencontrées là, après des mois d'errance sur les routes du continent. Grâce à toutes sortes de travaux forcés et à l'aide de leurs proches restés au pays, elles se sont acharnées à réunir la somme nécessaire pour payer les passeurs, à un prix excédant celui d'abord fixé. Ce soir-là pourtant, au bout d'une demi-heure de route dans la benne d'un pick-up fonçant tous phares éteints, elles sentent l'odeur de la mer. Un peu plus tôt, à Tripoli, des familles syriennes, habillées avec élégance comme pour un voyage d'affaires, se sont installées dans les minibus climatisés garés devant leur hôtel. Ce 16 juillet 2014, c'est enfin le grand départ. Dima, son mari et leurs deux fillettes ont quitté leur pays en guerre depuis un mois déjà, afin d'embarquer pour Lampedusa. Ces femmes si différentes ¿ Dima la bourgeoise voyage sur le pont, Chochana et Semhar dans la cale ¿ ont toutes trois franchi le point de non-retour et se retrouvent à bord du chalutier, unies dans le même espoir d'une nouvelle vie en Europe. L'entreprenante et plantureuse Chochana, enfant choyée de sa communauté juive ibo, se destinait pourtant à des études de d roit, avant que la sécheresse et la misère la contraignent à y renoncer et à fuir le Nigeria. Semhar, elle, se rêvait institutrice, avant d'être enrôlée pour un service national sans fin dans l'armée érythréenne, où elle a refusé de perdre sa jeunesse. Quant à Dima, au moment où les premiers attentats à la voiture piégée ont commencé à Alep, elle en a été sidérée, tant elle pensait sa vie toute tracée, dans l'aisance et conformément à la tradition de sa famille. Les portraits tout en justesse et en empathie que peint Louis-Philippe Dalembert de ses trois protagonistes ¿ avec son acuité et son humour habituels ¿ leur donnent vie et chair, et les ancrent avec naturel dans un quotidien que leur nouvelle condition de " migrantes " tente de gommer. Lors de l'effroyable traversée, sur le rafiot de fortune dont le véritable capitaine est le chef des passeurs, leur caractère bien trempé leur permettra tant bien que mal de résister aux intempéries et aux avaries. Luttant âprement pour leur survie, elles manifesteront même une solidarité que ne laissaient pas augurer leurs origines si contrastées. S'inspirant de la tragédie d'un bateau de clandestins sauvé par le pétrolier danois Torm Lotte en 2014, Louis-Philippe Dalembert déploie ici avec force un ample roman de la migration et de l'exil. 

Lu dans le cadre de mon aventure de Jurée pour le Prix Landerneau 2019


Ma lecture :

 J'avais déjà lu un roman de Louis-Philippe Dalembert, Avant que les ombres s'effacent. Malgré le sujet autour de la Seconde Guerre Mondiale et ses prix reçus, je n'avais pas du tout accroché. Alors plutôt que de le garder en fin de sélection pour le Prix Landerneau, je l'ai mis en seconde place dans la pile, pour lui offrir une seconde chance. D'autant plus qu'il viendra dans ma librairie du coin, le mois prochain.


Et alors, ce Mur Méditerranée ?

Et alors, je ressors transformée de ma lecture. J'allais écrire ravie, mais on ne peut pas ressortir ravie de ce roman, de cette terrible épopée. Mais transformée, oui, à plusieurs points de vue.

Transformée parce que je n'avais jamais lu de romans sur les migrants.
C'est un sujet d'actualité, où chacun donne son avis sans savoir vraiment, où on ne parle que de chiffres et pas d'humains. Dans ce roman, Louis-Philippe Dalembert suit trois femmes, trois destins, trois migrantes, trois désespérées qui fuient leurs pays. L'une fuit le Nigéria, l'autre l'Erythrée et encore une autre la Syrie. De confessions et de statuts sociaux différents, elles se retrouveront, littéralement, sur le même bateau. Un bateau de migrants. C'est leur parcours que l'on va suivre pendant tout le roman. De leur décision de quitter leur pays, leurs racines, leurs proches jusqu'à l'embarquement, enfin, sur ce bateau en route vers l'Europe, leur terre promise. Je n'avais jamais imaginé le parcours que devaient emprunter les migrants. Le roman détaille les étapes, les embûches, les faux espoirs, les échecs avec pudeur et émotion sincère. Dima, Chochana et Semhar ont foi en la vie, et veulent en offrir une nouvelle à leurs familles. Mais qui embarque des jeunes enfants dans un tel voyage ? Quelle jeune femme peut embarquer sur ce bateau minable ? Des désespérées. Des passionnées. Coûte que coûte, elles veulent rejoindre l'Europe pour s'offrir une vie meilleure, pour s'offrir la paix. Mais à quel prix ? Au prix de toutes, vraiment toutes leurs économies. Au prix de sacrifices inimaginables.
Mur Méditerranée offre des visages, des âmes, des cœurs à ces statistiques migratoires. Chaque migrant a son histoire : une histoire qu'ils doivent fuir pour s'en créer une nouvelle. Ils ne fuient pas pour la beauté de l'Europe, ils fuient pour la beauté de la vie car leur pays ne leur offre que la mort. Inéluctablement. 

Transformée car je renoue avec un écrivain, et c'est toujours chouette.
Ce roman est d'une force incroyable. Magistrale. Louis-Philippe Dalembert a une écriture fine, juste, toute en pudeur. Il entrecroise les temps narratifs et les personnages. On pourrait être perdus entre les flashbacks et les changements de personnages, mais cela donne cette impression de melting-pot embarqué sur ce bateau, à chacun ses histoires. Le sujet est grave, bien sûr, polémique aussi, mais ces trois femmes sont belles, humaines et fortes. Elles traversent une terrible épopée qui leur coûtera bien plus que les bakchich toujours plus énormes des passeurs. Au terme du voyage : trouveront-elles vraiment la paix ?

Je vais vous le dire, ce second roman de la sélection du Prix Landerneau, Mur Méditerranée, est encore un coup de cœur ! Je dirai même plus, un coup du cœur. Comment ne pas rester insensible face à de tels destins servis par cette écriture magistrale ?



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