lundi 24 septembre 2018

Le paradoxe d'Anderson

Rentrée littéraire 2018





Le paradoxe d'Anderson,

Pascal Manoukian,
Ed. Seuil, 2018


Mot de l'éditeur :

À 17 ans, Léa ne s'en doute pas encore. À 42 ans, ses parents vont le découvrir. La famille habite dans le nord de l'Oise, où la crise malmène le monde ouvrier. Aline, la mère, travaille dans une fabrique de textile, Christophe, le père, dans une manufacture de bouteilles. Cette année-là, en septembre, coup de tonnerre, les deux usines qui les emploient délocalisent. Ironie du sort, leur fille se prépare à passer le bac, section " économique et social ". Pour protéger Léa et son petit frère, Aline et Christophe vont redoubler d'imagination et faire semblant de vivre comme avant, tout en révisant avec Léa ce qui a fait la grandeur du monde ouvrier et ce qui aujourd'hui le détruit. Comme le paradoxe d'Anderson, par exemple. " C'est quoi, le paradoxe d'Anderson ? " demande Aline. Léa hésite. " Quelque chose qui ne va pas te plaire ", prévient-elle. Léon, dit Staline, le grand-père communiste, les avait pourtant alertés : " Les usines ne poussent qu'une fois et n'engraissent que ceux qui les possèdent. "




Ma lecture :

Etre Jurée d'un prix littéraire, comme celui du Prix Landerneau, permet de découvrir des auteurs, des univers, et de sortir de ses sentiers battus. Pascal Manoukian, je ne l'avais pas encore lu. Une contrée à appréhender...

Dans un village de l'Oise, Léa prépare son bac ES. Sa mère, Aline, voit son travail à l'usine de laine délocalisé et Christophe, son père, contre-maître dans une usine de verre, voit son usine voler en éclat. La famille subit de plein fouet les désastres de l'économie actuelle...

Aline et Christophe sont ouvriers. Ils se plaisent dans leur travail, sont payés juste ce qu'il faut, mais cela leur permet de mener une vie stable et heureuse avec leurs deux enfants. Ils déchantent lorsque, tour à tour, leurs usines sont délocalisées et leurs emplois menacés.
Aline voit sa machine à coudre la laine envoyée en Chine et, faute d'outils, est renvoyée chez elle. Elle accepte, sans mot dire, son indemnité de licenciement et ouvre son dossier chômage. Chômeuse, à 42 ans, dans une région où l'industrie meurt à grands feux, c'est chômeuse pour la vie. Que sait-elle faire à part être l’outil de sa machine ? Pas grand chose, et c'est bien là le problème...
Christophe, lui, voit les plans sociaux rôder autour de son usine. Ses collègues décident de l’occuper pour faire valoir leurs droits. Il ne touchera plus son salaire.
Aline et Christophe se retrouvent dans une situation plus que précaire qu'ils cachent à leurs enfants. Ils jonglent entre leur présent de plus en plus sinistre et l'avenir de leurs enfants qu'ils veulent meilleur. Et pourtant, le paradoxe d'Anderson montre qu’un enfant, même si il acquiert un diplôme supérieur à celui de son père, ne pourra pas pour autant accéder à une classe sociale supérieure.
Quel avenir, alors, pour la famille ? Que peuvent-ils leur offrir, avec leurs yeux remplis de désillusions ?
Je ne lis pas souvent de romans sociaux. Ce ne sont pas les meilleures lectures pour se détendre, n'est-ce pas ? Mais j'ai trouvé Le paradoxe d'Anderson vraiment épatant. Pascal Manoukian nous pousse au cœur des usines françaises, celles que l'on voit parfois aux infos quand des plans sociaux les menacent et brisent des emplois et des hommes. Nous sommes donc au cœur de ces usines mais aussi, et surtout, dans le cœur de ces ouvrières et de ces ouvriers. Eux qui ne vivaient que pour leurs emplois, et qui ne devaient leurs vies qu'à leurs emplois, lorsque ceux-ci sont menacés, bafoués, supprimés, voient leurs vies menacées, bafouées et supprimées. C'est très dur d'assister à la descente aux enfers d'Aline et Christophe. Ils ne contrôlent plus rien : leurs revenus, leurs achats, leurs biens, leurs décisions.  Au plus bas de leur vie, peuvent-ils encore remonter à la surface ?

Pascal Manoukian a choisi le parti pris d'offrir une vision manichéenne du monde de l'industrie. D'un côté les ouvriers qui triment pour de faibles revenus, de l'autre les patrons qui engendrent toujours plus de bénéfices sans les partager. L'ombre du communisme et de Staline planent sur le roman, d'où ce parti pris. Il permet également d'accentuer la situation de ce couple d'ouvriers, pris au piège de notre modèle économique. Ce parti pris peut agacer, mais je l'ai trouvé judicieux dans ce roman.
Notre modèle économique, le capitalisme, peut être vu comme le véritable protagoniste du roman. J'allais dire héros...enfin, anti-héros, pour le coup. Mais c'est en tout cas lui, qui meut l'intrigue et qui émeut les autres personnages... et le lecteur.

Le paradoxe d'Anderson est un roman social où le romanesque sert la critique économique et sociale. Les personnages sont attachants et baignent dans un monde bouleversé par les réalités économiques où l'humain n'a plus sa place. Pourtant, ces ouvrières et ces ouvriers sont tout ce qu'il y a de plus humains. Leurs cœurs battent pour leurs familles mais subissent une oppression, une pression qui va les mener jusqu'au malaise cardiaque.
La fin m'a chavirée. Elle est inévitable pourtant, mais, bercée par le roman, préparée aux secousses, je priais pour ne pas arriver jusque là. C'est tout à la fois romanesque et réaliste. Malheureusement.
Près de 100 ans après Les temps modernes, où se situe l'humain dans l'industrie ? Est-ce l'Homme qui survivra à l'industrie ou l'industrie qui survivra à l'Homme ? Un nouveau modèle économique est-il possible, sans dégâts collatéraux ?

Je vous invite à lire Le paradoxe d'Anderson et à attendre le claque de Pascal Manoukian. Elle secoue, elle fait mal, mais elle est nécessaire...



#PrixLanderneau2018


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