jeudi 20 février 2020

Le lambeau

Le lambeau,

Philippe Lançon,
Ed. Gallimard, 2018


Mot de l'éditeur :

Lambeau, subst. masc.
1. Morceau d'étoffe, de papier, de matière souple, déchiré ou arraché, détaché du tout ou y attenant en partie.
2. Par analogie : morceau de chair ou de peau arrachée volontairement ou accidentellement. Lambeau sanglant ; lambeaux de chair et de sang. Juan, désespéré, le mordit à la joue, déchira un lambeau de chair qui découvrait sa mâchoire (Borel, Champavert, 1833, p. 55).
3. Chirurgie : segment de parties molles conservées lors de l'amputation d'un membre pour recouvrir les parties osseuses et obtenir une cicatrice souple. Il ne restait plus après l'amputation qu'à rabattre le lambeau de chair sur la plaie, ainsi qu'une épaulette à plat (Zola, Débâcle, 1892, p. 338).
(Définitions extraites du Trésor de la Langue Française). 



Ma lecture :

La semaine dernière, j'ai candidaté pour faire partie du Jury du Prix du Livre France Inter. Cette année, Philippe Lançon préside le Jury, alors en bonne élève, et ne le connaissant pas, j'ai voulu lire un de ses romans.


Philipe Lançon est journaliste. En 2015, il travaillait pour Libération et Charlie Hebdo. Le matin du 7 Janvier, sur le chemin du travail, à vélo, il se demandait encore chez qui il passerait en premier : Libé ou Charlie ? Il s'est décidé pour Charlie. A la conférence de rédaction, avec Cabu, Tignous, Wolinski et les autres, ils débattent sur le dernier roman de Michel Houellebecq, Soumission. Et soudain, des coups de feu, des cris et le silence.
Philippe Lançon fait partie des victimes des attentats du 7 Janvier. Il s'est écroulé près de Bernard Maris. Mais survivra.
Son roman, Le lambeau, évoque sa destruction et sa reconstruction.

Comment ressort-on d'un attentat quand on a vu tous ses collègues et amis tomber autour de soi ? Quand on a vu le sang, la chair. Et le silence. Est-on un rescapé ? Un survivant ? Un revenant ? Philippe Lançon, physiquement, est une gueule cassée. Une gueule cassée qui suinte par toutes ses sutures.
La lecture de ce roman est difficile. Roman... Pas tout à fait, car il ne s'agit pas d'un roman, pas d'une fiction mais d'une réalité, d'un témoignage d'un événement terrible que nous avons encore tous en mémoire. L'auteur a un style journalistique, mais une écriture lumineuse, sans pathos. Il nous invite dans l'intimité de sa chambre d’hôpital où, semaines après semaines, il retrouve peu à peu l'usage de sa mâchoire, de sa bouche, de la parole, du goût. L'usage de la vie. Il raconte son quotidien, dans sa bulle médicalisée dont il craint d'ailleurs la sortie. La réalité décrite est crue, brutale, vraie. Depuis la veille des attentats à presque deux ans plus tard, nous sommes en immersion avec Philippe Lançon. Et effectivement, pas besoin d'utiliser d'effets stylistiques et faire sonner de mauvais violons pour ressentir les émotions.
Je l'ai dit plus haut, la réalité crue rendait la lecture difficile, l'auteur n'épargne rien à son lecteur, pas même quelques longueurs. Mais son combat était, lui aussi, long et difficile... La beauté de son écriture m'a fait tenir, comme lui a dû trouver, pour lutter, quelques pépites de beauté dans la vie...

Comment a-il fait pour ne pas devenir fou ?
La littérature l'a sauvé. Ses souvenirs de lecture et ses livres de chevets, véritables armes de destruction massive contre la haine, les amalgames faciles, la dépression, ont été primordiales. Avant chaque opération, il lit et relit l'épisode de la mort de la grand-mère dans A la recherche du temps perdu. Proust devient un refrain, un réconfort. De même, les œuvres de Thomas Mann et de Franz Kafka sont de véritables alliés dans un quotidien abrupt.


Le lambeau est une œuvre magistrale, poignante sur la destruction de l'homme par l'homme et par sa reconstruction, par l'homme elle aussi. Il n'est pas question d'islamisme ou de terrorisme, il est question d'une humanité mise à mal et surtout d'un homme, Philippe Lançon, défiguré dans l'attentat de Charlie. Défiguré physiquement, psychiquement et moralement.
Il y est question de survie.


Avis des lecteurs:

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