Les mémoires de la Shoah,
Annick Cojean,Baudouin & Rojzman,
Ed. Aire Libre/Dupuis, 2024
Mot de l'éditeur :
1942, descente des nazis dans le ghetto de Kovno, en Pologne : son nouveau-né dans les bras, une jeune femme regarde autour d'elle, hagarde. Bessie K : « Je tenais le bébé, et j'ai pris mon manteau, et j'ai emballé le bébé, je l'ai mis sur mon côté gauche car je voyais les Allemands dire "gauche" ou "droite", et je suis passée au travers avec le bébé. Mais le bébé manquait d'air et a commencé à s'étouffer et à pleurer. Alors l'Allemand m'a rappelée, il a dit : "Qu'est-ce que vous avez là ?" Je ne savais pas quoi faire parce que cela allait vite et tout était arrivé si soudainement. Je n'y étais pas préparée (...) Il a tendu son bras pour que je lui tende le paquet ; et je lui ai tendu le paquet. Et c'est la dernière fois que j'ai eu le paquet. »
C'est l'un des nombreux témoignages de survivants des camps de la mort recueillis par Annick Cojean, grand reporter au Monde depuis plus de quarante ans. Elle reçoit en 1996 le prix Albert Londres pour Les Mémoires de la Shoah. Ces textes magnifiques prennent une nouvelle dimension aujourd'hui avec cette adaptation en bande dessinée de Théa Rojzman et Tamia Baudoin.Une adaptation sensible des textes d'Annick Cojean en partenariat exclusif avec le Prix Albert Londres et le Mémorial de la Shoah.
Dealer : Livres in room, Saint-Pol-de-Léon
Ma lecture :
J'ai entendu parler de cette bande dessinée en janvier dernier, lors d'une Grande Librairie consacrée à la Shoah. Elle commémorait les 80 ans de la libération des camps. Bande dessinée, que dis-je, reportage graphique, puisqu'elle reprend la série de reportages qu'Annick Cojean a réalisée pour le journal Le Monde en 1994/95 à l'occasion du cinquantenaire de la libération des camps. La journaliste bretonne avait alors obtenu le prix Albert Londres.
Annick Cojean se plonge, littéralement dans les méandres de l'Histoire de la Seconde Guerre mondiale, et plus précisément dans la Shoah.
Grand reporter, elle interroge les rescapés, bien sûr, qui, pour beaucoup à l'occasion de cette célébration, à l'occasion de ses oreilles qui, soudain, se tournent vers eux, commencent à témoigner. Parce que au retour des camps, on a fait taire (on a fait terre) ces survivants, on ne voulait pas entendre l'horreur, encore moins la comprendre. Annick, elle, veut tenter de comprendre quelque chose à l'incompréhensible. Alors après les rescapés, elle interroge leurs enfants, qui vivent avec un poids sur leurs épaules, celui de vivre pour, vivre avec, vivre sans.
Puis, pour que son reportage soit complet, elle se tourne vers l'Allemagne. Comment un peuple peut vivre avec cette Histoire, bien trop lourde à porter ? Elle interroge d'anciens Nazis, des femmes et des enfants de hauts dignitaires. Les portes se ferment ou les paroles déversées sont inaudibles, comme celles du fils de Rudolf Hess qui voue encore un culte à son père. Pour la plupart cependant, ce pan de l'Histoire reste sous le tapis, comme la pire des poussières : "Des cadavres sous une moquette que personne n'ose soulever. Une odeur putride qu'on feint de ne pas remarquer sous peine de traitrise."
Les enfants de, rescapés, victimes ou criminels, sont les bourgeons de ces arbres calcinés par la barbarie. Ils sont la condition pour que la vie reprenne le bon chemin. Et pour être guidés dans ce chemin parfois tortueux, Annick Cojean évoque le FHO (Facing History & Ourselves) dont la mission est d'utiliser les leçons de l'Histoire pour s'opposer à l'intolérance et à la haine.
Ce reportage est essentiel pour mieux appréhender la Shoah, le monde d'après, et le nôtre, qui souffre encore d'intolérance et de haine.
Les mots d'Annick Cojean sont magnifiques, sublimés par les illustrations vertigineuses de Tamia Baudouin. C'est intelligent, pertinent. Indispensable.
J'ai aimé cette poésie des mots et des dessins dans cette barbarie.
Merci !
Avis des lecteurs:
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