Le rapport de Brodeck,
Philippe Claudel,
Ed. Stock, 2007
Livre de Poche, 2009
Mot de l'éditeur :
Je m’appelle Brodeck et je n’y suis pour rien. Je tiens à le dire. Il faut que tout le monde le sache. Moi je n’ai rien fait, et lorsque j’ai su
ce qui venait de se passer, j’aurais aimé ne jamais en parler, ligoter ma mémoire, la tenir bien serrée dans ses liens de façon à ce qu’elle demeure tranquille comme une fouine dans une nasse de fer. Mais les autres m’ont forcé : « Toi, tu sais écrire, m’ont-ils dit, tu as fait des études. » J’ai répondu que c’étaient de toutes petites études, des études même pas terminées d’ailleurs, et qui ne m’ont pas laissé un grand souvenir. Ils n’ont rien voulu savoir : « Tu sais écrire, tu sais les mots, et comment on les utilise, et comment aussi ils peuvent dire les choses […]. »
Dealer : Librairie Dialogues, Brest
Ma lecture :
Jurée du Prix Landerneau 2016, je vais rencontrer le Président de cette édition, Philippe Claudel, en Octobre. L'occasion pour moi de lire un roman de cet auteur, que je ne connais que de nom. Mon choix s'est porté sur Le rapport de Brodeck, roman traitant de la Seconde Guerre Mondiale, qui ne figurait même pas sur ma WishList, dîtes donc !A la fin de la guerre 39-45, Brodeck revient d'un lieu d'où l'on ne revient, en principe, ou par principe, jamais. Mais il revient. Son village ne l'attendait plus, son nom figurait déjà même sur le monument aux morts. Après cette absence douloureuse (l'auteur n'écrit jamais les mots Shoah ou camps de concentration), il reprend sa vie. Les villageois lui demandent d'écrire un rapport sur un drame survenu quelques temps après son retour, la mort de l'Anderer, de l'étranger. Puisqu'il a fait des études et puisqu'il rédige des articles sur la flore, c'est lui qui écrira la vérité. Alors, le voici qui écoute les versions de chaque habitant, qui palpe les non-dits, saisit les sous-entendus, ...
Le récit paraît bien flou au début du roman. Le lecteur ne sait pas où il se trouve : l'est de la France, un autre pays frontalier de l'Allemagne ? Le temps et la chronologie sont difficiles à déterminer. Brodeck est le narrateur, le témoin clé de cette histoire de l'Histoire. La naïveté de ses propos fait penser au Meursault de Camus, mais il a l’œil fin pour déceler la vérité et assembler le puzzle dramatique. L'écriture de Philippe Claudel est juste, belle, poétique malgré la noirceur du sujet.
Le rapport de Brodeck fait état des bêtises de la guerre, et plutôt de la bêtise humaine que la guerre a permis. La peur de l'étranger, cet étranger fatalement bouc-émissaire et inévitablement gênant, sonne le glas de ce village. Les hommes, le groupe, unis dans l'absurdité de la bêtise humaine envoient valser toute culpabilité. Brodeck, lui, étouffe peu à peu dans cet univers nauséabond où personne n'avoue, personne ne veut entendre. Mais lui sait, et cette vérité est terrible.
Le roman se termine ainsi :
“Je m'appelle Brodeck, et je n'y suis pour rien.
Brodeck, c'est mon nom.
Brodeck.
De grâce, souvenez-vous.
Brodeck.”
Je n'oublierai pas ce roman que la noirceur et les non-dits si éloquents font réfléchir sur soi-même et sur notre monde actuel. Notre monde qui, peu à peu, s'emplit de noirceur et semble reprendre le chemin, pourtant connu, des ténèbres.
Un roman fort, poignant, dont les échos résonnent encore après la lecture. La temporalité et les lieux étaient difficiles à cerner....cette histoire n'est-elle pas intemporelle ?
Je crois qu'il était un peu trop noir pour moi. Mon préféré de cet auteur est La petite fille de M. Lihn.
RépondreSupprimerNoir oui, mais lumineux en même temps. Je n'avais jamais vu de Claudel encore. Les âmes grises est depuis longtemps sur mes étagères, je ne l'ai pas encore lu.
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