Les gratitudes,
Delphine de Vigan,Ed. JC Lattès, 2019
Mot de l'éditeur :
« Je suis orthophoniste. Je travaille avec les mots et avec le silence. Les non-dits. Je travaille avec la honte, le secret, les regrets. Je travaille avec l’absence, les souvenirs disparus, et ceux qui ressurgissent, au détour d’un prénom, d’une image, d’un mot. Je travaille avec les douleurs d’hier et celles d’aujourd’hui. Les confidences.Et la peur de mourir.
Cela fait partie de mon métier.
Mais ce qui continue de m’étonner, ce qui me sidère même, ce qui encore aujourd’hui, après plus de dix ans de pratique, me coupe parfois littéralement le souffle, c’est la pérennité des douleurs d’enfance. Une empreinte ardente, incandescente, malgré les années. Qui ne s’efface pas. »
Michka est en train de perdre peu à peu l’usage de la parole. Autour d’elles, deux personnes se retrouvent : Marie, une jeune femme dont elle est très proche, et Jérôme, l’orthophoniste chargé de la suivre.
Ma lecture :
Lundi matin, j'ai entendu Delphine de Vigan parler sur France Inter. D'elle, je n'avais lu que No et moi et Les heures souterraines, romans que j'avais beaucoup aimés. Je ne sais pas pourquoi, j'avais pourtant oublié cet auteur. En l'entendant parler des Gratitudes à la radio, sans savoir que c'était elle, son roman m'a interpelée. Ce qui m'a poussée à mettre le volume plus fort ? D'entendre : "mesurez-vous l'importance de dire merci ?" et "elle veut remercier ces Justes qui l'ont sauvée"...Le roman fait tout juste une centaine de pages et je l'ai lu très vite. Le lecteur suit le quotidien de Michk', une dame sans enfants qui vieillit. La seule "famille" qu'elle ait est sa voisine, Marie, dont elle s'est beaucoup occupée lorsqu'elle était enfant. Elles sont pour elles deux, une famille de cœur.
Mais Michk' vieillit, donc, et Alzheimer la grignote petit à petit. La maladie grignote les mots, les souvenirs, bientôt la vie. Le roman est surtout constitué de dialogues entre la vieille dame et Marie, ou la vieille dame et Jérôme. L'auteur a délibérément retranscrit ses phrases grignotées par la maladie : une syllabe pour une autre d'abord, puis un mot pour un autre. Elle reste lucide, mais a beaucoup de difficultés à s'exprimer, à partager son âme et ses états d'âme.
Elle a grandi durant la Seconde Guerre Mondiale et elle s'attache à retrouver les Justes qui l'ont sauvée. Elle y tient, pourtant, à cette gratitude qui l'a poursuivie toute sa vie. Et à son crépuscule, c'est devenu un sacerdoce. Mais que peut-elle bien faire du fond de son EHPAD ?
Et autour d'elle, à ses petits soins, gravitent Marie, sa fille de coeur, et Jérôme, son orthophoniste...
Chacun d'entre eux retient ses douleurs d'enfants, ses regrets, ses non-dits. Michka, à la fin de sa vie, peut s'ouvrir et faire parler ces non-dits...
Quel roman ! Il ne paie pas de mine pourtant, construit essentiellement sur des dialogues. Mais les mots de Michka sont tellement bien étudiés et retranscrits que son aphasie devient émouvante, tendre, belle. Delphine de Vigan traite de la vieillesse avec délicatesse. Je ne comprends pas que j'ai pu oublier cette auteur, j'ai aimé les romans que j'ai lu et malgré tout, j'en avais un méchant
A lire, pour la beauté de l'émotion !
Et après votre lecture,
surtout,
prenez le temps de
téléphoner ou d'aller prendre un café avec les vieux de votre cœur...
Avis des lecteurs:
Et vous, qu'en pensez-vous ?