mardi 27 novembre 2018

Où passe l'aiguille








Où passe l'aiguille,

Véronique Mougin,
Ed. Flammarion, 2018




Mot de l'éditeur :

Du camp de concentration au sommet de la haute couture française, voici le voyage de Tomi, sa vie miraculeuse, déviée par l'histoire, sauvée par la beauté.
Où passe l'aiguille évoque le parcours de son cousin, déporté 55789 au camp de Dora, devenu après la guerre numéro deux d'une maison de haute couture internationale. 





Dealer : Médiathèque de Saint-Pol-de-Léon



Ma lecture :

Mes yeux ont été attirés par la couverture aux effluves de couture. En le prenant dans les mains, je ne me doutais pas du tout de l'autre sujet du roman...

Hongrie, 1944.
Herman Kiss est tailleur. Il est fier de son échoppe où il offre les plus beaux costume d'hommes à ses clients. Aux commandes de sa Pfaff 130, Kiss fait des merveilles. Le choix du tissus, la coupe, l'assemblage, le choix des fils et des points pour la couture : rien le lui échappe et il en fait tout un art. Ou tout un plat, dirait son fils Tomi, obligé de suivre la lignée paternelle. Le fils rêve pourtant d'un tout autre avenir, il rêve d'Amérique et s'imagine plombier. La couture ? Pas pour lui, même si, comme le répète son père, là où l'aiguille passe, le fil passe... En effet, dans la famille, la couture se transmet de générations en générations.
Kiss est donc un excellent tailleur. Mais il est Juif, en Hongrie. Et depuis quelques années, il n'y fait pas bon vivre  pour les Juifs, aussi excellents tailleurs soient-ils.
La guerre et le nazisme vont alors frapper la famille Kiss en plein cœur. A à peine un mois du Débarquement allié, les voilà déportés, avec les juifs de leur quartier, vers les camps de concentration allemands. Pour eux, ce sera Dora-Mittelbau. Dès leur arrivée, la mère et le jeune frère, Gaby, sont emmenés du mauvais côté : ils ne les reverront plus jamais. Le père et le fils, Tomi, ont cette chance de ne pas être séparés dans l'enfer concentrationnaire. Bien sûr que leurs conditions sont effroyables, mais ils sont ensemble et en font une force. Une force qui les poussera à être malins et à rester du côté de la vie. Le camp a besoin de tailleurs et de couturiers. Herman, le père, se porte bientôt volontaire et ses conditions de travail s'en retrouvent allégées. Mais Tomi, lui, n'a jamais voulu apprendre à coudre, le voilà condamné aux travaux de forçats. Condamné ? Pas forcément. Il ne sait pas coudre, mais il est très malin...

En 1945, le constat est sans appel, le nazisme a tout pris à la famille Kiss : son coeur, son appartement, son sang, son rang. Ils ont tout perdu et Tomi veut oublier son passé pour ne plus souffrir de l'absence des siens et de ses souvenirs du camp. Il se lance corps et âme dans sa nouvelle passion, lui qui n'en voulait pas : la couture. Il se trouve qu'en fait, il est doué, le fils prodigue, plus doué que son père. Alors, les Kiss n'ont peut-être pas tout perdu, il leur reste leur talent. Et leur talent les a toujours sauvés et propulsés.

Où passe l'aiguille
est un roman d'une justesse effroyable. Effroyable parce que l'écriture de Véronique Mougin est aussi sobre et élégante que les costumes d'Herman Kiss. Aucune fioriture, aucun pathos ne viennent gâcher l'émotion pure qui se dégage du roman. J'ai beau avoir lu beaucoup de romans sur l'univers concentrationnaire, j'ai ressenti de fortes émotions, notamment lors de l'arrivée au camp d'Herman et Tomi. L'écriture était au service de l'histoire et de l'Histoire, sans superflus, mais avec une justesse, je répète, effroyable. Effroyable, mais toujours belle et lumineuse.

Où passe l'aiguille est aussi une hymne absolu à la couture, aux tissus, à la haute-couture, aux envolées textiles ! La couture sauvera Herman et Kiss de la guerre, et les laissera avec un projet, une passion, une raison de (sur)vivre. La couture est la lumière dans la nuit du roman. Une faible veilleuse dans les baraquements de Dora-Mittelbau qui va s'intensifier peu à peu pour les sortir de l'enfer et les amener vers la lumière. L'amour pour la couture est magnifiquement retranscrit, là encore sans fioritures mais avec des mots justes pour des sensations et des émotions justes.

Véronique Mougin m'offre mon dernier coup de cœur de Novembre. Férue de littérature autour de la seconde guerre mondiale, et jouant avec ma Brother FS-40 à mes heures perdues, nous voilà en plein dans mes centres d'intérêts, et la séduction n'en était que plus facile. L'auteur rend hommage à son grand-oncle, rescapé de la Shoah et devenu grand couturier dans le Paris d'après-guerre. Un fabuleux destin que la petite-nièce a su raconter avec justesse et émotions. Lui qui a toujours refoulé son passé de Juif déporté se retrouve au cœur d'un roman dont il est le héros, porté par la lumière de la couture...

Coup de cœur à conseiller, sans nul doute !













 Pfaff 130
Modèle des années 40'




Où passe l'aiguille m'a fait penser au roman de Mary Chamberlain, De pourpre et de soie.





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