vendredi 14 septembre 2018

Trois fois la fin du monde

Rentrée Littéraire 2018



Trois fois la fin du monde,

Sophie Divry,
Ed. Noir Blanc / Noctabilia, 2018


Mot de l'éditeur :

Après un braquage avec son frère qui se termine mal, Joseph Kamal est jeté en prison. Gardes et détenus rivalisent de brutalité, le jeune homme doit courber la tête et s'adapter. Il voudrait que ce cauchemar s'arrête. Une explosion nucléaire lui permet d'échapper à cet enfer. Joseph se cache dans la zone interdite. Poussé par un désir de solitude absolue, il s'installe dans une ferme désertée. Là, le temps s'arrête, il se construit une nouvelle vie avec un mouton et un chat, au coeur d'une nature qui le fascine. Trois fois la fin du monde est une expérience de pensée, une ode envoûtante à la nature, l'histoire revisitée d'un Robinson Crusoé plongé jusqu à la folie dans son îlot mental. L'écriture d'une force poétique remarquable, une tension permanente et une justesse psychologique saisissante rendent ce roman crépusculaire impressionnant de maîtrise. « Au bout d un temps infini, le greffier dit que c'est bon, tout est en règle, que la fouille est terminée. Il ôte ses gants et les jette avec répugnance dans une corbeille. Je peux enfin cacher ma nudité. Mais je ne rhabille plus le même homme qu'une heure auparavant. »


Ma lecture :

Cette année encore, je suis Jurée pour le Prix Landerneau. Je commence ma sélection de quatre
romans par celui de Sophie Divry, choisi complètement au hasard ! Le jeu de la découverte, en somme !

Trois fois la fin du monde. Joseph Kamal va vivre trois fois une fin du monde.
Sa première fin du monde, c'est quand son frère meurt sous ses yeux et qu'il est envoyé en prison. Ils ont voulu jouer les braqueurs et ils ont perdu. Lamentablement perdu. Pourtant, Joseph n'est pas un voyou, c'est juste le frère conciliant d'un voyou. Il a voulu rendre service, il a rendu sa liberté. Le lecteur suit Joseph entrer en prison et y faire ses premiers apprentissages. On y est complètement immergé, emprisonné comme lui dans la cage de son esprit. Je me suis totalement crue dans le pilote de Orange is the New Black. L'écriture de Sophie Divry est parfaite : tantôt narrateur omniscient, j'ai failli écrire camera tant l'image est précise, tantôt narrateur personnage. Elle décrit les scènes et laisse les pensées de Joseph s'exprimer. Il n'a plus que ça pour lui, d'ailleurs : ses pensées. L'intimité, la dignité, la confiance en soi, il a tiré un trait sur tout ça. La vie en prison est terrible : codée, arbitraire, violente. Il rêve de liberté, de solitude mais il partage sa cellule grise avec 5 co-détenus...

La fin du monde rôde et s'incarne ensuite en une catastrophe nucléaire. Prison évacuée, territoire découpé en zones, chaos... Joseph Kamal parvient à s'enfuir du bus pénitentiaire et se retrouve au fin fond du Lot. Il est tout seul dans cette nature abandonnée par les hommes. Lui qui rêvait de liberté et de solitude, le voilà servi ! Sophie Divry reprend le thème littéraire de Robinson Crusoé et le thème philosophique de l'Homme contre la Nature. Le jeune homme a tout à apprendre, tout à reprendre sur ces terres désertées. Là encore, l'écriture joue sur les points de vue, cela en devient presque infernal : on a la tête qui tourne entre les scènes racontées par le narrateur omniscient et les pensées brutes de Joseph. Je dis bravo, car elle a réussi à retranscrire l'état d'esprit de Joseph. Le voilà donc, justement, à s'organiser : récupérer des denrées dans les maisons du village, continuer les potagers des fermes et s'instruire, se créer un chez lui, ... Il ne veut pas quitter le hameau car il est malgré tout en cavale. Personne ne semble le chercher, il est dans une zone probablement infectée. les humains lui manquent, lui qui ne supportait plus leurs compagnies en prison. Une cassette trouvée dans un vieux lecteur le comble de joie : des voix humaines ! Il parvient, au fil des mois, à apprivoiser le seul mouton survivant puis une chatte qui lui donnera deux chatons. Il s'émeut de la compagnie de ses animaux. Le terme domestique prend tout son sens. Il revient aux  bases de la civilisation : cultiver la terre pour mange, élever des animaux pour entretenir le terrain et lui faire de la compagnie, chasser quelques lapins à galoper. Joseph est attachant car il est maladroit : c'est le jeune citadin qui débarque au fin fond de la campagne sans personne pour l'aider. Mais il se débrouille car il n'a pas le choix. Trois fois la fin du monde a ici un véritable côté roman d'aventure. Démuni face à l'absence d'humains à qui parler, il commence délirer, à perdre un peu la tête. Alors il se décide à explorer un peu plus loin. Quand il revient, sa maison d'adoption et ses animaux de compagnie ont brûlé à cause de l'orage. C'est la troisième fin du monde de Joseph. Il n'a plus rien : plus de toit, plus de vivres, plus de confort, plus de compagnie. Il est désespéré. Il lève les yeux au ciel et aperçoit un avion. Ce n'est pas un mirage, c'est vraiment un avion !  Retour à la Liberté ? Ou retour en prison ?

Je ressors de ma lecture conquise par l'écriture de Sophie Divry : son mélange des points de vue à en perdre la tête est magistral. Pas de superflus, pas de longues descriptions : chaque mot est pesé au gramme près ! Bien sûr, le prétexte ou le contexte du roman est peu crédible : l'aventure robinsonne de Joseph suite à une catastrophe nucléaire qui le libère de sa prison. Mais le romancier fait ce qu'il veut, il nous emmène où il veut et Sophie Divry a réussi son pari.
L'univers carcéral : promiscuité, collectivité, violence, s'oppose judicieusement à l'excès de liberté dont il jouit dans le Lot, seul et au calme. Le trop s'oppose au peu et le peu s'oppose au trop. Cela amène évidemment à réfléchir sur notre société, sur la nature : de quoi avons-nous besoin, essentiellement, pour vivre ? Au fond, son évasion l'a libéré de sa prison, mais cela ne l'emprisonne-t-il pas dans sa liberté ?
Trois fois la fin du monde est un roman réussi et m'a séduit par son originalité et par sa matière à réfléchir. C'est un roman qu'on n'oublie pas !



* La lecture de Claudia : ici



#PrixLanderneau2018


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