Rentrée littéraire 2018
Tenir jusqu'à l'aube,
Carole Fives,Ed. Gallimard, 2018
Mot de l'éditeur :
"Et l'enfant ? Il dort, il dort. Que peut-il faire d'autre ?" Une jeune mère célibataire s'occupe de son fils de deux ans. Du matin au soir, sans crèche, sans famille à proximité, sans budget pour une baby-sitter, ils vivent une relation fusionnelle. Pour échapper à l'étouffement, la mère s'autorise à fuguer certaines nuits. A quelques mètres de l'appartement d'abord, puis toujours un peu plus loin, toujours un peu plus tard, à la poursuite d'un semblant de légèreté. Comme la chèvre de Monsieur Seguin, elle tire sur la corde, mais pour combien de temps encore ?Ma lecture :
Tenir jusqu'à l'aube figurait parmi les romans que je voulais découvrir, intriguée par le résumé. Pour échapper à l'étouffement, la mère s'autorise à fuguer certaines nuits : cela fait penser aux faitsdivers terribles que l'on peut lire dans les journaux. Ces parents, ces mères, ces pères qui s'extirpent de leurs rôles pour s'offrir un temps de liberté en boîte de nuit, par exemple. J'ai envie de découvrir, avec ce roman, comment ces situations pouvaient arriver et dégénérer...
Carole Fives nous présente le quotidien d'une jeune mère célibataire, une maman solo comme on dit aujourd'hui, une fille-mère comme on disait hier. Elle vit donc seule avec son fils, dans un appartement trop grand et trop cher pour eux et peine à continuer la vie qu'elle avait il y a quelques mois. Avant, elle menait une vie plutôt confortable, était aimée, avait son boulot de graphiste qui la motivait, rêvait de famille, ... Bébé est arrivé, monsieur est parti. Le monde de la jeune maman s'écroule. Son enfant de deux ans lui prend toute son énergie et lui écourte ses nuits. Même en free-lance, elle peine à trouver le temps de monter ses projets de graphiste. Une baby-sitter, la crèche ? Les places sont chères, dans les deux sens. Elle sent privée de vie sociale, enfermée dans ce huis-clos avec son fils qui hurle beaucoup. Pas très idyllique, cette vie de jeune maman. Alors elle s'autorise à sortir une heure, quand il est couché. Personne ne le saura. Puis deux heures. Elle parcourt des forums de discussions de mamans solos, comme elle, et découvre qu'elle n'est pas la seule. Alors elle sort encore une heure de plus. Personne ne le saura. Que peut-il arriver ?
Et c'est le drame, comme on s'y attendait doucement et fatalement.
Cette jeune maman et son fils n'ont pas de prénom. Cela pourrait être vos voisins. Une famille de l'école. Vous. Moi. Qui sait ? Qui sait comment une situation confortable peut dégénérer ? Qui sait ce qu'il se passe dans la tête des gens ? Derrière leurs portes ? Elle incarne les faits divers que l'ont peut lire. Elle leur donne une âme, une humanité. Et c'est cela qui m'a touché en tant que maman et professionnelle de la petite enfance.
Cette jeune maman, dans sa situation terrible d'isolement, veut s'en sortir, veut se donner les moyens de retrouver son confort financier, matériel et social. Elle veut travailler, s’occuper de son fils, sortir au parc, trouver l'amour, ... Difficile de tout concilier alors que tout est à faire. J'ai trouvé son personnage intéressant : on la sent perdue, à la dérive, mais avec une lueur d'espoir et une volonté féroce de rejoindre la berge. Quand elle s'offre ses instants de fugues, elle reste sage, goûte à la liberté, mais reste accrochée à sa corde, comme la chèvre de Monsieur Seguin. Elle pourrait briser cette corde, elle y a déjà pensé. Son fils ne serait-il pas plus heureux sans elle, dans une vraie famille ? Elle tire sur la corde, oui, mais revient toujours à l'étable, au chaud. Pourtant, on la sent à deux doigts de flancher, de tomber dans le ravin. Y tombera-t-elle ? Osera-t-elle sacrifier sa liberté pour une autre peut-être plus illusoire ?
Tenir jusqu'à l'aube est un roman poignant, sans fioritures, juste avec des faits, qui montrent la détresse sociale dans laquelle survit l'héroïne. Car elle est malgré tout une héroïne, à élever seule son fils, à affronter les jugements des autres. Son statut de maman solo n'est pas la norme familiale. Et l'éducation qu'elle donne à son fils non plus, évidemment, disent les gens.
Enfermée dans son quotidien usant et étouffant, mal dans sa peau, mal dans sa vie, elle voudrait aller goûter l'herbe dans le pré voisin, elle a l'air tellement plus verte. Et si elle recommençait tout à zéro dans ce nouveau pré ? Sera-t-elle libre, affranchie de son fils ? Où se situe la liberté d'une mère ?
On ne sort pas indemne de ce magnifique roman !
#PrixLanderneau2018
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