dimanche 14 octobre 2018

HHhH

 

 


 

HHhH,

Laurent Binet,
Ed. Grasset, 2010
Prix Goncourt du Premier Roman


Mot de l'éditeur :

Prague, 1942, opération « Anthropoïde » : deux parachutistes tchèques sont chargés par Londres d'assassiner Reinhard Heydrich, le chef de la Gestapo et des services secrets nazis, le planificateur de la Solution finale, le « bourreau de Prague ». Heydrich, le bras droit d'Himmler. Chez les SS, on dit de lui : « HHhH ». Himmlers Hirn hei t Heydrich le cerveau d'Himmler s'appelle Heydrich. Dans ce livre, les faits relatés comme les personnages sont authentiques. Pourtant, une autre guerre se fait jour, celle que livre la fiction romanesque à la vérité historique. L'auteur doit résister à la tentation de romancer. Il faut bien, cependant, mener l'histoire à son terme...




Ma lecture :

Je vais à Prague dans quelques jours, voyage de noces après 10 ans de mariage. Je voulais donc lire un roman tchèque ou du moins, qui se déroule à Prague. Avec mon penchant pour la littérature autour de la seconde guerre mondiale, j'ai tout naturellement choisi ce roman de Laurent Binet au titre étonnant, au premier abord : HHhH.
J'entends déjà mon mari me dire : "Partout où on va, il faut que tu trouves des traces de la guerre...." Ce roman m'offre une belle trace de guerre en la Cathédrale des Saints-Cyrille-et-Méthode...



Je ne vais rien vous cacher, j'ai pris un énorme plaisir à lire ce roman.
Le sujet, déjà, m'intéressait : à Prague, le 27 Mai 1942, un commando entreprend l'Opération Anthropoïde et tente d'assassiner Heydrich. A partir de ce fait, Laurent Binet, passionné par cette période, lui aussi, explique le contexte de l'époque. HHhH n'est pas un titre si biscornu qu'il en a l'air, c'est en fait l'acronyme de Himmlers Hirn heißt Heydrich (le cerveau d'Himmler s'appelle Heydrich). L'auteur nous présente donc le contexte historique et les personnages principaux de l'Opération Anthropoïde : Heydrich (un des pires, si ce n'est le pire dignitaire nazi), Jozef Gabcik et Jan Kubis (Résistants tchèque et slovaque). Il nous fera vivre l'attentat dans ses moindres détails.

Laurent Binet est attaché à la vérité historique : pas question de se tromper dans les faits ni dans les dates, il s'agit d'être précis. Pour autant, il ne veut pas écrire un PUF sur Heydrich ou sur l'Opération Anthropoïde, il veut en faire un roman. Comment, alors, concilier vérité historique et roman ? Pour romancer l'Histoire, il faut bien imaginer des scènes, faire parler les personnages, imaginer leurs pensées, ... Laurent Binet interrompt son récit pour nous faire part de ses réflexions d'écrivain. J'ai trouvé cela très pertinent, sincère et original.
J'ai moi-même été confrontée à ce problème en tant que lectrice. J'ai toujours été passionnée par la seconde guerre mondiale mais j'ai eu une période où je ne voulais plus lire de romans sur le sujet car je ne savais plus où étaient la fiction et la vérité historique. Et je ne concevais pas qu'on puisse se moquer de la vérité historique en écrivant des romans plus ou moins éloignés de cette vérité. Les seuls auteurs qui pouvaient écrire sur la guerre étaient ce qui y étaient vraiment, pensais-je. Mon avis a évolué au cours des années. Aujourd'hui, je dirai que ce qui compte, c'est le pacte que passe l'écrivain avec le lecteur, que l'écrivain assume la part de fiction, par exemple, et que le lecteur l'accepte.
Bref, Laurent Binet est là, avec son histoire d'attentat contre Heydrich, et devant lui, des photos, des témoignages qui vont lui servir de base pour écrire son roman. Il se rend compte qu'il ne veut pas écrire un livre d'Histoire brute, mais romancée, parce que la fiction, paradoxalement, rend l'Histoire plus réaliste, l'ancre dans une réalité. Et c'est de cette même manière qu'il redonne un souffle de vie à ces héros de l'attentat contre Heydrich. Ses personnages ne sont pas vraiment des personnages de papier, ils ont vraiment existé. Mais si on réfléchit, Laurent Binet, en les mettant en scène, les transforme en personnages de roman. Alors en voulant leur donner une âme, ne les possède-t-il pas de leur réalité ? Voyez un peu les questionnements dans lesquels le romancier nous embarque !
J'ai toutefois été très sensible à ces réflexions, c'est même ce que j'ai préféré dans HHhH.
Je ne prend quasiment jamais de notes quand je lis, car je lis pour le plaisir avant tout. Là, je n'ai pas pu m'empêcher. Lors de la scène de l'attentat, Laurent Binet écrit :
     "Pendant quelques secondes, les témoins suffoqués ne verront plus qu'elle : cette veste d'uniforme flottant dans les airs au-dessus d'un nuage de poussière. Moi en tout cas, je ne vois qu'elle."
Oui, Laurent Binet y est, à Prague, ce matin de mai 1942. Il y est de tout son corps, de toute son âme par le truchement de l'écriture et de la littérature et des émotions qu'elles déploient.

Vous l'aurez compris, j'ai eu un gros coup de cœur pour ce roman. Le style de Laurent Binet, agaçant pour certain, m'a transportée. Véritablement. J'ai eu l'impression qu'il essayait d'animer des photos en noir et blanc pour essayer de comprendre, d'appréhender les moments-clés de l'Histoire. Pour cela, il s'est littéralement jeté dans ces photos pour tenter d'en tirer, par la fiction, une certaine réalité. Une simple photo en noir et blanc, muette, est devenue humaine. Et c'est pour cela que l'auteur a eu tous ces questionnements : peut-on jouer avec l'Histoire ? J'ai bien eu cette impression de jeu, avec son ton désinvolte, ses jugements piquants mais toujours avec le respect de l'homme de Lettres et du passionné d'Histoire. Quand il parle de Heydrich, il évoque "la pire créature jamais forgée par le feu brûlant des enfers, l'homme le plus féroce jamais sorti d'un utérus d'une femme". C'est cru, mais son ressenti est tout à fait...pertinent ! Ce dignitaire nazi, connu sous le sobriquet de Boucher de Prague était monstrueux. Il est quand même à l'origine de la Solution Finale.
Mais je ne vous ai pas parlé du résultat de l'attentat : Heydrich est finalement mort des suites de ses blessures. La grenade ne l'a pas tué, mais l'infection qu'elle a causé : oui. Car le IIIème Reich ne savait pas guérir les infections, ce sont les anglais qui avaient la Pénicilline. D'ailleurs, cette mort de Heydrich conduira à des expérimentations médicales au camp de Ravensbrück pour trouver des remèdes aux infections. C'était le sujet du roman poignant de Martha Hall Kelly : Le lilas ne refleurit qu'après un hiver vigoureux. Les histoires se croisent !

A la suite de l'attentat, les trois auteurs sont en cavale. Les Nazis vont venger leur chef. Les voilà acculés dans la crypte d'une église, la fameuse cathédrale Saints-Cyrille-et-Méthode. Jozef Gabcik, Jozef Valcik et Jan Kubis se terrent. En représailles, faute de trouver les coupables, les Nazis font de la ville de Lidice un Oradour-sur-Glane tchèque. Quelques jours plus tard, à la suite d'une dénonciation traitre, le commando tchèque va être découvert, la cathédrale et la crypte assaillies, et les héros tués. Ils resteront dans l'Histoire pour avoir réussi à atteindre Heydrich et le tuer. Ils sont les héros tchèques de la seconde guerre mondiale.

Je ne connaissais pas cette Opération Anthropoïde, ni même Laurent Binet. Evidemment, ce furent deux découvertes extraordinaires. Laurent Binet était bien à Prague au Printemps 1942, caché derrière son calepin, et il a réussi à m'emmener avec lui vivre l'Histoire. Jolie prouesse et bel hommage à ces héros de Prague.
Je serai dans une dizaine de jours à Prague, vous savez maintenant un des lieux que je ne manquerai pas de visiter....

Merci pour ce voyage spacio-temporel, et pour vos réflexions de romancier face à l'Histoire, Laurent Binet !




https://www.prague.eu/fr/objet/lieux/565/memorial-national-aux-heros-de-lattentat-contre-heydrich-narodni-pamatnik-hrdinu-heydrichiady

Site du Mémorial aux Héros de l'Attentat,
Cathédrale Saints-Cyrille-et-Méthode, Prague

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Voici mes photos de mon escapade à Prague

(Edit du 31 Octobre 2018)


Un petit musée sur l'Opération Anthropoïde rend hommage à ces résistants.
Les visiteurs laissent des traces de leur passage.
Cette crypte est vraiment remplie d'émotions...

A l'extérieur de la Cathédrale des Saints-Cyrille-et-Méthode,
nous voyons la lucarne de la crypte criblée de balles nazies.



Dans la cavité que Jozef Gabcik et Jan Kubis ont creusée, les visiteurs laissent des hommages.
Ces Héros sont, rappelons-le, les seuls à avoir réussi à tuer un dignitaire nazi.

Cette terrible lucarne par laquelle
les Nazis ont fait entrer de l'eau pour inonder les héros d'Anthropoïde....




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