11 Novembre
Au revoir là-haut,
Pierre Lemaitre,
Ed. Albin Michel, 2013
Mot de l'éditeur :
Ils ont miraculeusement survécu au carnage de la Grande Guerre, aux horreurs des tranchées. Albert, un employé modeste qui a tout perdu, et Edouard, un artiste flamboyant devenu une « gueule cassée », comprennent vite pourtant que leur pays ne veut plus d’eux. Désarmés, condamnés à l’exclusion, mais refusant de céder au découragement et à l’amertume, les deux hommes que le destin a réunis imaginent alors une escroquerie d’une audace inouïe… Fresque d'une rare cruauté, remarquable par son architecture et sa puissance d'évocation, Au revoir là-haut est le grand roman de l'après-guerre de 14, de l'illusion de l'armistice, de l'État qui glorifie ses disparus et se débarrasse de vivants trop encombrants. Dans l'atmosphère crépusculaire des lendemains qui déchantent, peuplée de misérables pantins et de lâches reçus en héros, Pierre Lemaitre compose avec talent la grande tragédie de cette génération perdue.
Dealer : Prêté :)
Ma lecture :
On m'a prêté ce roman il y a quelques temps déjà, et malgré les avis enthousiastes, j'avais peur de lire mon premier Goncourt. Et oui, je peux vous l'avouer, je n'ai jamais lu de Goncourt, ce prix m'a toujours fait peur et m'a toujours semblé pompeux, poussiéreux et inaccessible. Mes études de Lettres à la Fac de m'ont confortée dans cet apriori quand un professeur a déclamé, je cite : "Les Goncourt sont beaucoup achetés à Noël, ornent les étagères pour faire cultivé, mais ne sont guère lus". Vous imaginez, alors, ma position délicate !Mais revenons à nos moutons, ou à nos poilus.
Je ne vais pas faire durer le suspens, ma chronique ne peut qu'être élogieuse : j'ai adoré !
Dès les premières phrases, j'ai su que je ne regretterai pas mon choix de lecture. Je ne sais même pas par où commencer tant ce roman est dense.
L'histoire commence à la fin de la guerre 14-18, un des derniers assauts où Albert Maillard est enseveli dans un trou d'obus. Il se sait condamné. Il va mourir comme un con le dernier jour de guerre. Mais, il a une bonne étoile, Albert, car Edouard Péricourt, presque par hasard, va le sauver. Quelques éclats d'obus plus tard, et une armistice signée, c'est au tour d'Albert de veiller sur Edouard, qui a le visage bien abîmé, pourrait-on dire même, troué.
Ces deux hommes, la guerre terminée, les soins plus ou moins réussis et terminés, vont rentrer au bercail, là où on ne les attend plus vraiment, ces gueules cassés, ces démobilisés, ces presque morts qu'il faut réintégrer dans le marché du travail, dans la vie. En quatre ans, la société a évolué, les hommes ont changé, les femmes ont pris des places auxquelles elles n'avaient pas accès jusqu'à présent.
Ce roman, n'est pas un roman de guerre, mais un roman sur l'après, sur le retour des gueules cassés, sur l'Homme et ses travers. Le pays est meurtri, endeuillé, amputé, mais certains sont déjà prêts à en tirer profit. Qui sont ces soldats revenus de l'enfer ? Sont-ils les héros qu'on honore ?
Les personnages que brosse Pierre Lemaitre sont d'une force ! Je peux vous parler du duo Albert/Edouard, deux destinées que la guerre a réunies, pour le meilleur et pour le pire. Chacun a sauvé la vie de l'autre, et ils ne peuvent se résoudre à se quitter. Albert a perdu son emploi, sa fiancée, bref, sa place dans la société. Edouard, défiguré, ne veut plus retourner à sa vie dans la haute société où il s'est toujours senti différent, et prend alors une nouvelle identité. Edouard Péricourt est considéré comme "Mort pour la France". A présent, sa différence est marquée physiquement par sa gueule cassée et le voilà à vivre en marge de la société. Il souffre le martyre et demande à Albert toujours plus de doses de morphine pour soulager ses douleurs. Cependant,il refuse toute chirurgie réparatrice et comble son trou béant au milieu de la figure, par des masques qu'il dessine et fabrique chaque jour de manière excentrique. Il n'est pas mort tel un soldat inconnu, il fait partie de ceux qui sont revenus des tranchés et tient sa revanche sur la vie en s'en offrant une nouvelle. En manque d'argent, en manque d'ambition, il va imaginer un plan audacieux : monter une arnaque majestueuse. De cette façon, Albert et lui seront à l'abri pour le restant de leurs jours... Je ne vous en dis pas plus, il faut garder un peu de suspens !
Quand je vous parlais des personnages forts, il y aussi cet anti-héros Henri d'Aulnay-Pradelle, qui survit à la guerre en écrasant les autres, monte en grade, s'enrichit, se marie avec un bon parti, bref, fait preuve du plus cruel arrivisme. La galerie de portrait continue avec Madeleine, épouse de cet Henri d'Aulnay-Pradelle et sœur du faux-mort Edouard Péricourt, qui se rend compte du caractère nauséabond de son mari et ose s'affirmer face à lui et le regarde, moqueuse, s'effondrer dans ses affaires frauduleuses. Elle campe une femme moderne, tout à fait dans le ton de l'époque. Et le père d'Edouard, le père de ce fils fantasque avec qui il ne s'entendait plus, qui a du mal à accepter le chagrin qui, bien après sa "mort", le submerge et le ronge.
Quel grand roman, que de beaux personnages, quelle maîtrise ! J'ai trouvé majestueux le duo que forment Albert et Edouard. Ce dernier offre une vie de panache et d'audace à Albert. Le fantasque et le sage s'affrontent et se complètent, s'équilibrent, s'animent l'un l'autre. Je pense qu'Edouard se sait de toutes façons condamné, par ce refus de chirurgie, ce refus de retrouver sa vie d'avant (où certes il ne se sentait pas à sa place) et joue d'audace, de panache et de fantaisie pour jouir de la vie, pour être lui-même (malgré les masques derrière lesquels il cache la gueule cassée) et veut sauver Albert en montant cette arnaque censée les mettre à l'abri pour leur offrir une nouvelle vie ailleurs. Voilà des personnages riches, intenses comme on n'en croise plus beaucoup dans les romans d'aujourd'hui.
Pour en revenir au Goncourt, et bien, il n'est pas si pompeux ni poussiéreux que ça, après tout. Et puis, je vous ai menti,j'en ai déjà lu un, de Goncourt, sans le savoir, mon très cher Modiano avec son Rue des boutiques obscures. Bref, en 2016, me voilà réconciliée avec le Goncourt puisque je vais bientôt lire Chanson Douce, Goncourt 2016. Est-ce moi qui devient pompeuse et poussiéreuse ou le prix semble parfois s'ouvrir ?
Vous l'aurez compris, Au revoir là-haut est un énorme coup de cœur. J'en suis contente car la lecture a encore envoyé valser mes aprioris : lire un Goncourt, qui plus est, un roman sur les gueules cassées !
Oui, oui, oui, trouvez l'occasion, le moment, l'audace, de le lire, vous en sortirez
Avis des lecteurs:
Et vous, qu'en pensez-vous ?