mercredi 5 juin 2024

La vie devant soi

La vie devant soi,

Romain Gary,
Sous le pseudonyme d'Emile Ajar,
Ed. Mercure de France, 1975
(Prix Goncourt 1975)


Mot de l'éditeur :

Quartier de Belleville, années 70. Momo, 10 ans vit chez Madame Rosa, une ancienne prostituée qui a créé « une pension sans famille pour les gosses qui sont nés de travers », c'est à dire qu'elle accueille des enfants de prostituées pour les protéger de l'assistance publique ou des "proxinètes", comme dit Momo. Le jeune garçon raconte son quotidien à hauteur d'enfant émaillant son récit de réflexions sur la vie :
"Les gens tiennent à la vie plus qu'à n'importe quoi, c'est même marrant quand on pense à toutes les belles choses qu'il y a dans le monde."
"La vie fait vivre les gens sans faire tellement attention à ce qui leur arrive."
Si Momo a la vie devant lui, Madame Rosa, quant à elle, est hantée par ses souvenirs d'Auschwitz, se laissant gagner peu à peu par la maladie. Si son médecin insiste pour qu'elle soit hospitalisée, elle le refuse catégoriquement, soutenue par Momo :
"Moi je trouve qu'il n'y a pas plus dégueulasse que d'enfoncer la vie de force dans la gorge des gens qui ne peuvent pas se défendre et qui ne veulent plus servir."
L'enfance, la mort, la vieillesse, le milieu des prostituées et des émigrés s'entremêlent savamment pour former une œuvre atypique, pimentée de trouvailles langagières hors norme, drôles et décalées.
Les derniers mots du roman sonnent comme une promesse : "Il faut aimer".


Dealer : Gibert Joseph


Ma lecture :

Lire un classique fait toujours un peu peur. Surtout un Goncourt. Goncourt...on en parle tout de suite ? Romain Gary est le seul auteur à l'avoir remporté deux fois car la seconde fois, il a utilisé ce pseudonyme d'Emile Ajar pour publier La vie devant soi. Il est donc également l'auteur de la plus grande supercherie littéraire, qu'il a avouée dans sa lettre de suicide. Je dirai plutôt qu'il était un génie littéraire, libre de tout carcan éditorialiste. Chapeau l'artiste.

Bref.

Revenons à Momo, héros de La vie devant soi.
Ce garçon de 10 ans a été confié très jeune à Madame Rosa, ancienne prostituée qui s'est reconvertie en nounou pour enfants de prostituées. Elles courent l'emprisonnement si on les voit élever des enfants. Il grandit donc dans le quartier de Belleville avec cette mère adoptive juive, rescapée d'Auschwitz et de la rue et reçoit une éducation judéo-arabe.
Mais un jour, Momo découvre qu'il a en fait 14 ans et que sa Madame Rosa décline sérieusement. Pas question pour elle d'avoir de vrais papiers et donc de toucher une quelconque sécurité sociale, des fois qu'on la raflerait à nouveau vers le Vel' d'Hiv'. Alors pas d'hôpital pour elle... Momo va l'assister dans son déclin et ses souffrances...

Publié en 1975, le roman peut être lu comme un conte sur la fin de vie, et ce thème est résolument d'actualité. Madame Rosa ne veut pas végéter comme un légume, elle veut abréger ses souffrances. Elle fait promettre au jeune garçon de l'avorter. Mais l'avortement des vieux est illégal. Momo a un regard et un vocabulaire naïf sur le monde qui l'entoure. Il déforme les mots qu'il entend selon les accents de ceux qui les prononcent. Il utilise par exemple les mots "avortement" ou "défendre" dans les tous les sens, usés jusqu'à la moëlle. J'ai ainsi appris que se défendre voulait aussi dire se prostituer. Regard naïf à la Candide, donc, qui ouvre déjà le débat de l'euthanasie. 

J'ai été impressionnée par ce roman à la fois facile à lire et riche en subtilités. J'ai beaucoup aimé la voix de Momo, inoubliable, désuète, naïve et tellement authentique. L'histoire est sombre : on parle d'un enfant élevé par une vieille dame en fin de vie. Si elle meurt, il sera placé en foyer et quittera son quartier multiculturel de Belleville. Histoire sombre, donc, mais d'une beauté éblouissante.

Je suis ravie d'avoir découvert ce roman...sous le conseil averti de... Virginie Grimaldi ! Merci !


Avis des lecteurs:

Et vous, qu'en pensez-vous ?

Suivantes Précédentes Accueil