mardi 9 avril 2024

Triste tigre

Triste tigre,

Neige Sinno,
Ed. P.O.L, 2023


Mot de l'éditeur :

« Il disait qu’il m’aimait. Il disait que c’est pour pouvoir exprimer cet amour qu’il me faisait ce qu’il me faisait, il disait que son souhait le plus cher était que je l’aime en retour. Il disait que s’il avait commencé à s’approcher de moi de cette manière, à me toucher, me caresser c’est parce qu’il avait besoin d’un contact plus étroit avec moi, parce que je refusais de me montrer douce, parce que je ne lui disais pas que je l’aimais. Ensuite, il me punissait de mon indifférence à son égard par des actes sexuels. »


Dealer : Bibliothèque de Sibiril


Ma lecture :

La lecture de Triste tigre n'est pas un long fleuve tranquille, loin de là. Et impossible de se cacher derrière le mot roman car ce n'en est pas un. L'autrice dégaine et offre son "Je" pour raconter et analyser l'inadmissible.

Neige Sinno livre un essai à partir de son expérience personnelle : elle a été abusée par son beau-père de ses neuf ans à ses quinze ans. En toute intimité, en toute liberté, mais dans le plus grand secret, il a violé sa belle-fille. Une enfant. Le cadre, sordide, est posé.
L'autrice se sert de cette expérience intime et fait des parallèles avec le viol dans la littérature et dans la société pour essayer de comprendre. Quel regard a-t-on sur ces actes ?

Lolita, par exemple, de Nabokov. Le nom commun est entré dans le dictionnaire pour désigner une jeune fille ingénue aux manières aguichantes. Qu'en est-il en réalité ? Dans le roman, Lolita était une jeune fille violée par le narrateur. Mais ce narrateur a la seule parole dans ce roman et il se persuade que cette enfant le séduit. Elle a douze ans, il en a le triple. L'écart est aussi grand, entre le légèreté qu'à laissé le terme Lolita et le sordide de la situation entre ces deux personnages.
Plus jamais je n'utiliserai ce terme de Lolita.

Quant à la société, à l'égard des violeurs, est relativement complaisante : le violeur est forcément malade psychologiquement, a probablement été violé lui aussi, blablabla.
Il n'en reste que ces violeurs brisent des enfances, faussent les rapports humains (et sexuels), freinent une construction saine de l'adulte.

Neige Sinno recadre les choses et offre sa parole aux enfants abusées et à ces enfances désabusées.
Son essai ne se lit pas d'une traite mais en apnée. Alors il faut souvent remonter à la surface pour reprendre de l'air et de la vie. 
J'ai beaucoup aimé ses réflexions, sa pudeur, même si parfois la colère éclate naturellement. Elle ne se veut pas porte-drapeau de l'inceste, elle livre "juste" son analyse depuis son âme et son corps souillés. 
Bravo pour ce combat !



Avis des lecteurs:

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