Un immense bonhomme. Aux mots lumineux. Une vie de roman. Jorge Semprun est à Rennes jusqu'au 1er décembre à l'occasion d'un colloque consacré à son oeuvre littéraire. À 84 ans, l'écrivain et ancien déporté de Buchenwald a toujours autant de souffle pour dénoncer les totalitarismes.« J'ai toujours voulu écrire. Depuis l'âge de huit ans. L'écrivain est la figure mythique de mon panthéon enfantin. » Ce jour-là, Jorge Semprun reçoit, dans son appartement parisien, à deux pas de l'Assemblée nationale. À 84 ans, il vient de perdre sa femme. Et prévient que l'interview sera courte.Il faudrait, de toute façon, les neuf vies du chat pour raconter celle de l'auteur de L'écriture ou la vie. Écrivain, partisan, déporté, résistant à Franco, scénariste de près d'une quinzaine de films, dont Z et L'aveu de Costa-Gavras, il a vécu tous les grands drames du XXe siècle. N'a cessé de combattre et de dénoncer les totalitarismes. Mais revient toujours à une seule expérience : « Je suis avant tout un déporté du camp de concentration de Buchenwald. »Jorge Semprun est né à Madrid. Issu d'une famille de gauche, catholique et républicaine, il est contraint de s'exiler à Paris en 1937, pendant la guerre d'Espagne. Il suit des études de philosophie à Paris avant de rejoindre la Résistance communiste sous l'Occupation. Il a alors 18 ans. Deux ans plus tard, il est arrêté par la Gestapo, torturé et déporté au camp de concentration de Buchenwald, en Allemagne... « à quelques kilomètres seulement de la maison de Goethe », aime-t-il à rappeler avec effroi.« Je ne passe pas mon temps à me souvenir de cette période, glisse-t-il pourtant, comme s'il devait se justifier. Avec le temps, Buchenwald est moins présent, moins dramatique, plus serein. Je ne fais plus de cauchemars. Pourquoi ? Non seulement j'ai lu les autres, mais j'ai moi-même écrit. »Écrivain, l'auteur de L'écriture ou la vie l'est bel et bien devenu, comme il en rêvait enfant. Mais pas de la façon dont il aurait pu l'imaginer. Contraint, parce qu'il l'avait vécu, d'interroger sans fin « l'expérience des camps ». Obligé de trouver un moyen de transmettre « l'intransmissible », cette « expérience limite, du mal absolu ». « Une telle accumulation d'horreur, le froid, la faim, le manque de sommeil, les exécutions, l'odeur de la fumée des fours crématoires... c'est à peine crédible. Il faut donc trouver un moyen de le dire. » Lui a choisi la littérature.Jorge Semprun n'a pourtant pas tout de suite écrit. D'abord traducteur à l'Unesco, il coordonne, dès 1953, les activités de résistance au régime de Franco en Espagne. Il donne alors quelques-uns de ses rendez-vous clandestins, au Prado, devant le tableau de Velasquez Les Ménines. Clin d'oeil à l'art ? Peut-être. Mais surtout parce qu'il est plus facile de repérer un policier dans un musée, s'amuse-t-il à raconter. Il sera finalement exclu du Parti communiste espagnol en 1964. « Je n'étais plus d'accord », lance-t-il sans plus s'étendre.Il a alors 40 ans. Et, à mi-chemin de sa vie, l'écriture s'impose. Naturellement. « Écrire est devenu comme une planche de salut. » Finie la politique, même s'il sera ministre de la Culture « sans budget » du gouvernement espagnol de Felipe González de 1988 à 1991.Peu connue pendant longtemps, l'oeuvre de Jorge Semprun résonne enfin. Au côté de celle d'un Primo Levi, elle permet de ne pas oublier l'Holocauste. L'homme est exigeant avec le souvenir : « Je n'aime pas beaucoup l'expression ' devoir de mémoire', l'idée d'imposer aux jeunes une mémoire qui n'est pas la leur. Je préfère, de loin, le devoir de connaissance. »L'ancien déporté jette aussi un oeil fécond sur notre siècle marchand et mondialisé : « Aujourd'hui, on ne fabrique plus pour dix personnes, mais dix millions. Est-ce que c'est triste ou positif ? Les deux. Quand il s'agit des vêtements, ça n'a pas d'importance. En revanche, pour les idées, c'est autre chose... » Moralité ? « L'homme est condamné à combattre en permanence la société qui l'entoure. »La démocratie est un combat sans fin. « Pas de quoi être catastrophiste », à ses yeux. Même si Buchenwald reste toujours une possibilité humaine, l'oeuvre de Jorge Semprun montre que rien ne peut annihiler les forces créatives chez l'homme. Son message est délibérément humaniste. Optimiste. « On dit du XXe siècle que c'est le siècle des génocides. C'est vrai, mais c'est aussi celui de l'émancipation de la femme et des peuples colonisés, sourit-il. La vie historique n'est jamais noire ou blanche. Il y a beaucoup de nuances de gris. »À partir d'aujourd'hui et jusqu'au 1er décembre, un colloque lui est consacré à l'université Rennes 2. Jorge Semprun revient sur des terres qu'il connaît bien. Son épouse était originaire de Fougères (Ille-et-Vilaine), et son deuxième livre, Quel beau dimanche !, a été rédigé à Fouesnant (Finistère). Le directeur du colloque, Ricardo Saez, caresse d'ailleurs l'idée d'une fondation consacrée à l'écrivain, à Rennes. « On ne peut pas cantonner Jorge Semprun à un colloque », justifie-t-il. Non plus à un article. L'homme est immense. Trop immense.
Ouest-France - Dec.2007
Le premier week-end de décembre se tenait à Rennes un colloque à la fac et une conférence aux Champs Libres, autour de Jorge Semprun. J'étais vraiment contente qu'il vienne ! C'est un grand homme de culture.
Semprun, je l'ai découvert assez tard, à la fac, en étudiant Quel beau dimanche. J'avais lu beaucoup de choses sur l'univers concentrationnaire, mais lui, à la manière de Primo Levi y apportait une dimension philosophique.
Bref, je ne voulais pas manquer cet événement.
Semprun, je l'ai découvert assez tard, à la fac, en étudiant Quel beau dimanche. J'avais lu beaucoup de choses sur l'univers concentrationnaire, mais lui, à la manière de Primo Levi y apportait une dimension philosophique.
Bref, je ne voulais pas manquer cet événement.
Samedi, conférence aux Champs Libres. L'écrivain parlait des camps, de l'écriture, de la création, ... Il est très intéressant à écouter. Cependant, il semblait quand même fatigué.
C'était un honneur de le rencontrer, de le voir ainsi mis à la lumière. Même si, parfois, j'avais l'impression que les organisateurs en faisaient un peu trop face à la simplicité de Semprun...
Si vous ne connaissez pas cet écrivain, je vous conseille L'écriture ou la vie...
Bonjour Liza,
RépondreSupprimerton article m'a rappelé que Jorge Semprun était déjà venu à Rennes 2, il y a 7-8 ans... je venais de lire "l'écriture ou la vie", qui m'a beaucoup marqué...
ton blog est chouette, l'idée de la rubrique roman vs film est super... si tu as le temps de visiter le mien...